L’identité, faux concept ou réalité ?
De Renan au Kosovo, une réflexion sur ce qui nous unit Portée par une vague électorale bleue marine, la question de l’identité s’est imposée dans tousles débats politiques en Europe. Cette notion, utilisée à tort et à travers, suscite d’importantescontroverses, faute d’avoir jamais été clairement définie. Lors du premier Congrès de la Jeunesse Serbe organisée à Vienne le 7 juin 2025, alors que le débat entre les personnes présentes venait de commencer pour déterminer la stratégie des organisations serbes de la diaspora dans leur développement, la discussion est rapidement devenue une réflexion sur ce qu’est véritablement être serbe. Des idées très différentes ont aussitôt émergé, révélant à quel point il est difficile de définir l’identité. Cette dérive du débat vers une question aussi vaste qu’irrésolue révèle un problème plus large : peut-on encore définir une identité collective de manière claire et partagée ? Et si non, à quoi bon en parler ? L’enjeu de la question identitaire demeure une question irrésolue. Pourtant, comme pour le « wokisme », son utilisation dans le débat public aurait dû permettre une définition claire. Dès lors, nous aurions pu penser que l’absence de concorde sur la définition de l’identité explique les divergences sur ce qu’est être membre d’une Nation. La vérité est qu’un accord sur la définition demeure impossible : le Congrès, à lui seul, ne pouvait résoudre un débat vieux de plusieurs siècles. L’identité est définie comme étant un « caractère de ce qui, sous des dénominations ou des aspects divers, ne fait qu’un ou ne représente qu’une seule et même réalité » par le CNRTL. Elle semble donc être intimement liée à la notion de Nation, elle aussi au cœur de nos débats politiques. Dès lors, il aurait été peut-être plus intéressant de parler d’identité nationale afin d’éviter toute confusion avec l’identité individuelle. La question de la Nation a été au cœur d’une réflexion philosophique profonde et intéressante à aborder pour comprendre que le débat qui a eu lieu au Congrès à Vienne est, certes, légitime, mais infini. Or, l’infini est abstrait et dépasse notre rationalité : le débat semble donc être vain et inutile. L’idée même de Nation a divisé les sociétés européennes, parfois voisines. Ainsi, alors que la Prusse s’est effondrée à la suite de la prise de contrôle du territoire par Napoléon, Fichte (Reden an die deutsche Nation, 1808) appelle à une renaissance spirituelle et morale du peuple allemand en éveillant leur conscience nationale. Pour lui, la Nation désigne une communauté de langue et de culture, non une création juridico-politique. Elle précède l’État, qui ne fait que servir cette dernière. Le peuple est uni par la langue, l’éducation et la culture. Plus tard, Renan développera la « vision française » de la Nation dans son célèbre discours de la Sorbonne en 1882. Alors que le nationalisme a le vent en poupe en France à la suite de la défaite face à la Prusse, Renan cherche à définir la Nation dans une perspective républicaine et rationnelle face à certaines dérives identitaires. Ainsi, il affirme que la Nation est une construction historique et politique fondée sur la volonté de vivre ensemble. La Nation n’est donc ni une race, ni une langue (qui permet de se réunir mais ne le force pas) et encore moins une religion ou une frontière géographique. Une Nation se caractérise par un passé commun, au travers d’une mémoire collective faite de souffrances et de gloires partagées, ainsi que d’une volonté présente de continuer à faire valoir cet héritage commun : il appelle cela le plébiscite de tous les jours. Cette vision française existe d’ailleurs depuis longtemps. Le droit du sol (jus soli), trouve son caractère coutumier dans un arrêt du 23 février 1515 rendu par le Parlement de Paris : un enfant né de parents étrangers est un sujet du roi, donc français. Après la Révolution, le Code Napoléon permet aux enfants étrangers nés en France de demander la nationalité française dans l’année suivant sa majorité. En 1889, la IIIe République rend automatiquement français tout enfant étranger né en France, sauf si ce dernier refuse de le devenir. Ce droit est aujourd’hui au cœur de nombreuses critiques (notamment à Mayotte) et a été revu à de nombreuses reprises. Or, il semble clair aujourd’hui que la philosophie française ait été validée par le réel. S’il peut être difficile pour certains de l’accepter, preuve a été faite lors du Congrès. Á Vienne, la langue ou la religion ne peuvent plus permettre de caractériser une Nation. Sans avoir à aborder le fait que de nombreuses personnes connaissent la langue et l’histoire française mais ne se sentent absolument pas Français, l’exemple du Kosovo est amplement suffisant. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, le Maréchal Tito décide d’accueillir des réfugiés albanais et de faire partir les Serbes de ce territoire, pourtant central dans leur histoire car c’est là-bas qu’ils ont réussi, malgré toute attente, à repousser les Ottomans en 1389. Les Albanais ont fréquenté des serbes, leurs écoles, ont appris leur langue et leur histoire, ont profité des richesses d’une Yougoslavie qui dépassait tout ce qu’ils auraient pu avoir en Albanie : nous aurions alors pu légitimement croire qu’ils deviendraient des serbes d’ici une ou deux générations, ne serait-ce que par reconnaissance. Or, malgré tout cela, ils n’ont pas hésité à constituer une organisation armée qualifiée de terroriste par plusieurs États (UÇK) pour décrocher une indépendance violant toutes les règles du droit international, obtenue car soutenue militairement par l’OTAN. Si l’Occident a commis ici une erreur stratégique (ils accueillent eux aussi massivement des populations étrangères et la Russie s’appuie aujourd’hui sur cette violation sanglante du droit international pour justifier son « opération militaire » en Ukraine), il n’en demeure pas moins que la Nation n’est pas une histoire de langue, culture ou religion mais bien de sentiment. Il demeure donc clair qu’au regard de cette question, pourtant si précieuse aux yeux des serbes, le débat n’aurait pas dû avoir lieu. Se pose d’ailleurs la question des Serbes dont les ascendants ont émigré dans d’autres pays et